Matinale de l’Ordre #21 : « Violences intrafamiliales : Repérer, réagir, prendre en charge »

22/07/2022

 

 

« Violences intrafamiliales : Repérer, réagir, prendre en charge »

 

 

Le 30 juin dernier l’Ordre National des Infirmiers a organisé une matinale sur le thème : « Violences intrafamiliales : Repérer, réagir, prendre en charge ». Retrouvez ci-dessous la synthèse des échanges de cette table ronde d'experts composée de : 

  • Alice Casagrande, Présidente de la Commission de lutte contre la maltraitance et de promotion de la bientraitance du Haut Conseil de la famille ;
  • Françoise Brié, Directrice Générale de la Fédération nationale Solidarité Femmes (FNSF) ;
  • Pierre Lemaire, Infirmier capitaine des sapeurs-pompiers des Yvelines et expert auprès de tribunaux ;
  • Pascal Vigneron, Directeur du 119 au sein du Groupement d’intérêt public de l’enfance en danger ;
  • Véronique Péchey, Vice-présidente de l’Ordre national des infirmiers et membre de la commission santé publique,  en charge du dossier des violences intrafamiliales ;
  • Patrick Chamboredon, Président de l'Ordre National des Infirmiers.

 

Sommaire :

 

 

Un phénomène de société majeur, touchant tous les milieux sociaux

 

Alice Casagrande présente le rôle de la Commission de lutte contre la maltraitance du Haut Conseil de la famille, créée en 2018, « transversale à tous les publics, c’est une spécificité ». La commission s’intéresse aux violences dans les familles, mais aussi dans les établissements, vis-à-vis des femmes, des mineurs, des publics vulnérables (maladie, handicap, grand âge). Parmi ses réalisations, un vocabulaire partagé de la maltraitance, l’aboutissement d’un an et demi de travaux, inscrit dans la loi du 7 février 2022. A. Casagrande affirme : « Sur ces questions, il faut travailler ensemble, on ne peut pas, quel que soit son angle de vue, résoudre ce sujet seul, sans partenariat. ».

 

Françoise Brié, Directrice de la FNSF, réseau de plus de 70 associations partout en France, observe qu’en matière de violences intrafamiliales, « tous les milieux sociaux-économiques sont touchés, et tous les âges (..) On a des médecins, des avocates, des infirmières, mais aussi des femmes qui sont dans la précarité ». Elle mentionne des facteurs aggravants qui favorisent le passage à l’acte, comme l’usage de stupéfiants ou d’alcool, ou encore la séparation : « On sait que c’est là [en période de séparation] que 30% des féminicides sont commis. ».

 

Pascal Vigneron, Directeur du 119 enfance en danger, évoque plus de 40 000 sollicitations par an, un chiffre en hausse, et insiste sur l’importance d’élargir la focale sur la famille au sens large : « Les enfants sont en danger et les parents sont en difficulté : le 119 n’est pas que pour les enfants mais aussi pour les adultes dans les problématiques de gestion des enfants mais aussi parfois du couple ». Avec plus de 92000 appels au 3919 en 2021, F. Brié souligne la complexité des violences conjugales et ses conséquences (cycle de la violence, emprise, dépendance économique…).Mais « il y a des solutions, avec l’aide de professionnels, la sortie de la violence existe et peut être très positive. »

 

Mieux accueillir la parole des victimes en amont et orienter vers les bons interlocuteurs

 

Pascal Vigneron rappelle que la prévention est essentielle : « Il faut s’adresser à des personnes compétentes pour questionner si ce que l’on voit, constate, imagine peut être vrai et quels sont les moyens de soutenir la famille ou la personne dans les difficultés qu’elle rencontre ». Le 119 est une plateforme téléphonique mais aussi une plateforme numérique via un tchat pour les mineurs et un formulaire en ligne, d’aide de soutien, de conseil, d’accompagnement et d’orientation, 1 sollicitation sur 2 faisant l’objet d’une information préoccupante. P. Vigneron souligne le rôle clé des infirmiers qui ont « une place essentielle dans la relation directe avec les familles (…). Il est important qu’ils puissent questionner. On a beaucoup de témoignages qui disent : j’attendais qu’ils me posent la question. L’infirmier doit permettre cela ».

 

Françoise Brié insiste sur l’importance du travail en réseau avec les acteurs de terrain pour une prise en charge pluriprofessionnelle. Dans le cas des violences faites aux femmes, un professionnel de santé peut appeler le 3919, l’important est de repérer, tout en préservant la confidentialité et l’anonymat, et d’orienter vers les bons interlocuteurs : « il ne s’agit pas de faire à la place de, il s’agit d’accompagner les victimes dans leurs démarches, en s’appuyant sur le réseau associatif nombreux sur le territoire ».

 

Alice Casagrande regrette que « cette émancipation de la parole n’ait pas encore rejoint tous les publics », notamment les personnes en situation de vulnérabilité ou de handicap. Elle relève une double difficulté : le repérage plus difficile des signaux et le conflit de loyauté des victimes. Le numéro d’appel 3977 existe, mais « il est important d’ouvrir la parole de façon large (…). Il y a aussi des victimes qui se trouvent face à un silence social, qui essaient de commencer à dire et qui ne sont pas entendues ». Elle déplore un certain retard des politiques publiques en France, le Royaume-Uni et le Québec sont plus avancés, et en appelle à un véritable « volontarisme politique ».

 

Véronique Péchey met en avant la place essentielle des infirmiers, en matière de dépistage, par leur proximité avec les patients, tous publics (enfants, adultes, personnes âgées et handicapées). Elle suggère de créer les conditions propices au recueil de la parole en posant des questions ouvertes aux femmes, quel que soit le motif de consultation, de façon systématique.

 

Vers une culture de l'accompagnement 

 

Pierre Lemaire souligne que le cadre légal a évolué pour les professionnels de santé, avec la loi de juillet 2020 qui permet de lever le secret professionnel dans le cas de violences conjugales, si la victime est sous emprise et que sa vie est en danger. Les soignants peuvent toutefois se retrouver dans des situations complexes. « cela demande un exercice extrêmement prudent » précise-t-il.

 

Véronique Péchey insiste sur le travail de sensibilisation réalisé par la commission santé publique de l’ONI à travers l’édition récente de fiches pratiques sur les violences, des ressources simples et fiables que les infirmiers peuvent télécharger. Pour Patrick Chamboredon, il y a un enjeu « d’information et de connaissance par les professionnels de santé ». Il rappelle que l’Ordre agit à plusieurs niveaux : la formation des référents violences des CDOI avec la MIPROF (Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences), afin de renforcer les compétences de chaque professionnel et la signature de conventions localement avec les acteurs concernés (institution judiciaire, associations). Enfin, l’Ordre débat régulièrement avec les autres ordres, notamment de santé et juridiques, au sein du Comité de Liaison des Institutions Ordinales (CLIO) sur ces sujets transverses.

 

Alice Casagrande interpelle : « L’urgence des situations ne doit pas créer l’urgence de la réaction. Dans les prochains mois, la commission va s’attacher à proposer une gouvernance territoriale, et à passer de la culture de l’alerte à la culture de l’accompagnement ». La présidente précise qu’un plan interministériel de lutte contre la maltraitance de tous les publics vulnérables sera proposé d’ici à la fin d’année.

 

Patrick Chamboredon conclut sur l’importance de poursuivre le travail initié et d’unir ses forces pour l’avenir. Il ajoute : « Les infirmiers ont une charge importante et un challenge à relever, quel que soit le mode d’exercice, libéral ou à l’hôpital : il faut qu’ils soient mieux informés et plus efficaces dans le repérage de ces violences ».

 


 

Ressources :

  • Podcast de l'URPS Infirmiers Océan “Les soignants face à la violence” pour sensibiliser les professionnels de santé au repérage et à la prise en charge des victimes de violences : https://cutt.ly/ILqLLzm                                                                                                                 

 

Numéro national d'urgences :

  • 119 : Allô enfance en danger ;
  • 3919 : Stop aux violences faites aux femmes ;
  • 3977 : Contre les maltraitances des personnes âgées et des adultes en situation de handicap.